Amateurs d’art, Florence et Damien Bachelot se prennent de passion pour la photographie dès les années 2000, constituant une collection au gré des ventes aux enchères et des coups de cœur en galeries. Initiée à partir d’un fonds humaniste français (Brassaï, Doisneau, Cartier-Bresson…), celle-ci s’est également nourrie des riches heures de la photographie américaine (Lewis Hine, Sid Grossman, Bruce Davidson…), et des courants contemporains (Stéphane Couturier, Luc Delahaye, Mitch Epstein, Paul Graham, Edward Burtynsky…). Passant d’une image intimiste en noir et blanc à une poétique des ruines très actuelle, la collection semble de prime abord hétéroclite, dévoilant finalement un souci permanent du fait social et urbain. Elle témoigne d’une société en construction, en constant changement, autant que d’un monde en décomposition.
C’est un métier que de collectionner. Et, à entendre les collectionneurs, il faut plus que de l’argent pour s’installer de manière durable et originale dans le monde restreint du « vintage ». Toute collection, pour se différencier, doit être paradoxalement, un examen de la photographie et une distance vis-à-vis d’elle. Si ce rassemblement n’est fait que pour soi, il est évident que l’on attend des autres une reconnaissance de la démarche.
La puissance de la collection de Florence et Damien Bachelot, sa brutalité même, va de pair avec une clairvoyance au service d’une peinture de la « condition humaine ». L’empathie a gardé dans leur esprit des couleurs vives et intenses.
Cette passion privée est tout le contraire d’un regard satisfait et charitable. On y dénonce, on témoigne à charge. Même si tout cela ne change pas l’édifice, les tares de notre temps, le racisme, la pauvreté et la guerre apparaissent dans leur vérité crue : une injure à l’intelligence et au progrès. C’est dans le monde réel, avec ses aspérités, que se nourrit cette collection. Elle vaut bien toutes les sources d’informations modernes. Elle n’a d’autre fin que la morale et, disons-le, l’édification du spectateur !
La croyance dans la puissance créatrice et poétique de la photographie s’avère intacte. Le photographe est celui qui peut, par l’entremise de l’appareil, modifier le cours des choses. Il domine le réel plus qu’il ne l’enregistre. Il voit là où les autres errent en aveugle. Cette collection affirme sans aucun doute la différence de nature entre le preneur de vue et le reste du monde.
Reconnaissons encore un mérite à cette collection. Elle respire la liberté. Des noms reconnus, mais si peu d’icônes…
C’est, finalement, plus qu’un métier que de collectionner. Et à revoir encore ces images réunies patiemment, il nous vient un scrupule : celui de n’avoir pas suffisamment insisté sur ce qu’elles partagent, une gravité. Non, mieux : une tension.
François Cheval