L’automobile, symbole de la modernité
Collection Florence et Damien Bachelot.
« L’automobile est aujourd’hui l’équivalent assez exact des grandes cathédrales gothiques : une grande création d’époque, conçue passionnément par des artistes inconnus, consommée dans son image, sinon dans son usage, par un peuple entier qui s’approprie en elle un objet parfaitement magique » Roland Barthes Mythologies, 1957, Editions du Seuil. Le développement de la vie moderne a été accompagnée d’une place croissante accordée à l’automobile, perçue tant comme un objet d’identification sociale que de modernité. En Europe, aux Etats Unis et en Asie, la voiture est liée à l’essor de la civilisation des loisirs pour des millions d’individus nés avec la production industrielle et fait partie du rêve de progrès pour l’homme et sa nature contradictoire, ses triomphes et ses échecs. Quant aux villes, elles sont rapidement pensées comme des espaces de circulation automobile. Parallèlement qui mieux que la photographie a été le témoin patient de ces bouleversements ?
Au début du XXème siècle, en effet, l’automobile et l’appareil photo connaissent, l’un et l’autre et presque parallèlement, d’importants développements techniques avec comme point commun la recherche de la vitesse : du coté de la voiture, on passe de 20km à l’heure dans les années 1890 à plus de 100 km dès 1960. Et, du coté de la photographie, on recherche la vitesse de l’ouverture reposant sur la mécanisation de l’obturation. Le lancement en 1925 du Leica marque un véritable tournant pour les prises de vues. Dès les années 60, l’apparition d’appareils plus petits, plus légers et plus rapides, de la pellicule couleur et des boutiques de développement instantanés emmène la photographie « sur la route » toujours grâce à la voiture. La pratique automobile touristique en rencontre une autre : le photographe amateur.
Il n’est pas surprenant, dans ce contexte, que les photographes professionnels se soient immédiatement emparés de cet objet particulièrement photogénique et porteur de sens multiples. Un grand nombre d’entre eux, dans le monde entier, photographient des automobiles dans leur environnement quotidien, stationnées dans les rues des grandes capitales : Paris, New York et bien d’autres….Ses artistes envisagent la voiture comme une sorte de medium et s’intéresse aux différentes facettes de la culture automobile que ce soit les stations-services, les parkings, les garages... Le paysage de l’automobile devient un univers tissé de relations inédites entre des lieux, des personnes, des mises en situation. La fascination qu’exerce la voiture est renforcée pour ces photographes par sa grande force plastique et sa puissance d’évocation. L’intelligence d’une collection est, notamment, de savoir rendre compte des mutations de son époque. S’ils privilégient la qualité du tirage, Florence et Damien Bachelot ont aussi une conscience aigue de l’intensité de l’instant. Ces passionnés rassemblent des photographies, souvent majeures dans le processus des artistes, pour les confronter et en proposer des lectures uniques, cohérentes et intemporelles. Pour eux, la photographie est le dévoilement de la société contemporaine et permet une nouvelle narration du monde. Il n’est donc pas étonnant de retrouver, parmi les six cent clichés de leur collection, un grand nombre d’images prenant pour modèle la voiture. Une cinquantaine de ces clichés seront présentés à la Biennale de Daegu 2018 avec des regards particuliers, des lectures critiques, des fragments de réalité sociale illustrant plus d’un siècle de l’utilisation de la voiture. Ainsi Le conducteur au volant de sa voiture d’Henri Lartigue, peintre, écrivain et photographe français. Sa célébrité attendra les années 50 avec une photo « ratée » d’une formule 1. En 1912, pendant le Grand Prix de l’Automobile-Club de France, Lartigue est surpris par la vitesse d’une voiture, il la suit de son viseur et déclenche. Pendant le développement, il constate que tout est bougé, déformé et que la voiture est mal cadrée. Il ne tire pas la photo et la sort de ses archives en 1950. C’est un énorme succès. Tout ce qui avait fait que l’image était ratée participe maintenant à son dynamisme : le flou de « bougé », la déformation des roues, le cadrage de la voiture qui va tellement vite qu’elle est déjà hors du cadre…. Policier parisien réglant la circulation, place de la Madeleine, le clin d’œil de Robert Doisneau à l’agent de police de Paris, lui qui, de 1934 à 1939, à 22 ans, entre au service photo des usines Renault à Billancourt. De ces cinq années passées chez Renault naîtra une prodigieuse collection, témoin précieux d’une entreprise mythique, mais aussi d’un lieu et d’une époque. Rue de la Mare ou Ménilmontant , les clichés de Willy Ronis et ses voitures dévoilent les liens indéfectibles qui l'ont rattaché à la ville Lumière jusqu'à son décès en 2009, à 99 ans. Brooklyn Gang. Bruce Davidson, immense photographe travaillant en noir et blanc, a célébré dans les années 60 Brooklyn, ses voitures et ses gangs avec une puissance formelle, une dimension sociale et politique et une profonde humanité. Là encore, la voiture documente ses clichés. Plus récemment, Philippe Chancel, dans sa série Drive thru Flint, est le témoin de la déchéance de Detroit, longtemps symbole de progrès avec ses trois grands géants de l’automobile – General Motors, Ford et Chrisler. Mais à partir du début des années 80, l’industrie automobile aux USAs’effrondre. Detroit est rebaptisée « Murder capital .»
L'utilisation magistrale de la photographie couleur est la marque de fabrique de Saul Leiter, d’Harry Gruyaert et de Joel Meyerowitz. Chacune de leurs photos dévoile un univers propre et unique, construit avec une maîtrise de la couleur, de la lumière et de la composition. Ils se sont emparés chacun à leur manière de la puissance narrative de la voiture et Joel Meyerowitz le confirme : « J’ai commencé à comprendre que la vitre de la voiture était le cadre et que, d’une certaine manière, la voiture elle même était l’appareil photo avec moi ». La voiture, bientôt, pourra rouler sans conducteur. La technique photographique change avec l’ère numérique, les réseaux sociaux et les outils connectés. Pourtant les photographes sont toujours fascinés par l’automobile parce que cette icône moderne symbolise encore aujourd’hui une liberté accélérée.
Françoise Docquiert
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English version :
The car, a symbol of modernity
Photographs from Florence and Damien Bachelot’s collection.
« I think that cars today are almost the exact equivalent of the great Gothic cathedrals; I mean the supreme creation of an era, conceived with passion by unknown artists, and consumed in image if not in usage by a whole population, which appropriates them as a purely magical object.» Roland Barthes, Mythologies, 1957, translated by Annette Lavers.The development of modern life has involved a growing space devoted to the car, viewed as much as an object of social identification as a symbol of modernity. Who better than photography could patiently testify to these upheavals? In the early twentieth century, the car and the camera indeed both knew, almost simultaneously, major technical developments sharing as a common point a quest for speed. The practice of automobile tourism met another one, that of amateur photography.
In such a context, it is hardly surprising that professional photographers immediately appropriated that particularly photogenic object, bearing multiple meanings. A large number of them, worldwide, took to photographing cars in their daily environment, parked on the streets of the main cities, Paris and New York among many others… These artists view the car as a kind of medium and are interested in the various aspects of its culture, such as petrol stations, car parks, garagesIn these photographers’ eyes, the fascination the car exercises gets reinforced by its great visual appeal and evocative power. The intelligence of a collection notably lies in its ability to record the mutations of its time. For Florence and Damien Bachelot, photography reveals the contemporary society and opens up a new narrative of the world. No wonder then that we can find a large number of images of cars among the six hundred pictures in their collection. About fifty of them will be on show at Daegu 2018 biennial exhibition, depicting, through specific gazes and critical readings, fragments of a social reality illustrating more than a century of car use.
Françoise Docquiert
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